La « Loi Travail », quels changements pour la VAE ?
Entre conflits socio-politiques et recours au désormais très célèbre Article 49.3, la « Loi Travail » ou « Loi El Khomri » a été promulguée en Août 2016. Elle est maintenant connue sous le nom de « LOI n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels ». Aux dernières nouvelles, un décret d’application devrait venir la compléter en ce qui concerne la VAE. D’ores et déjà, nous lançons un appel – amical – à tous les acteurs du monde de la VAE pour une application effective des nouvelles dispositions relatives au dispositif. Ainsi, des milliers de personnes (salariés, demandeurs d’emploi, décrocheurs scolaires, …) pourront transformer leurs expériences en diplômes. Et, dans le cadre d’une incontournable action collective, la VAE pourra pleinement jouer le rôle sociétal qui est fondamentalement le sien.
Dans cet article, nous revenons sur ces nouvelles dispositions et alors les principaux changements que la « Loi Travail » implique pour la VAE.
Les principaux changements
• La durée d’activité : de 3 ans à 1 an
Pour qu’une demande de validation soit recevable, la durée d’activité requise était de 3 ans et ce, que l’activité ait été exercée de façon continue ou non.
Ce qui change avec la « Loi Travail » : La durée d’activité passe de 3 ans à 1 an et ce, « que l’activité ait été exercée de façon continue ou non ». Aussi et pour tout candidat, elle prend maintenant en compte les périodes de formation initiale ou continue en milieu professionnel. En fait, ces périodes n’étaient comptabilisées que pour les personnes n’ayant pas atteint le niveau V [1] de qualification pour la préparation d’un diplôme ou d’un titre.
Notre avis : cette baisse est pertinente. Elle l’est encore plus si nous considérons que la durée d’activité « en rapport avec la certification visée ne représente pas une condition systématique de réussite d’un parcours VAE, notamment pour des certifications de premier niveau » [2]. Devant notamment permettre à des personnes peu ou pas qualifiées de bénéficier de la validation des acquis de l’expérience, cette évolution législative pourrait toutefois desservir le dispositif auprès d’employeurs et de certificateurs. Les certifications, titres ou diplômes obtenus pourraient perdre de la valeur aux yeux des premiers. Et parmi les seconds, certains pourraient encore plus décrier la VAE qui dévaloriserait selon eux les diplômes qu’ils délivrent. Une telle évolution pourrait aussi être un nouvel argument pour les détracteurs du dispositif qui le dénonceraient avec plus de vigueur mais particulièrement à tort. En effet, le jury – qui est paritaire – reste souverain malgré la « Loi Travail ». Au-delà, une autre conséquence négative de la baisse de la durée d’activité pourrait être la hausse des taux de validations partielles et nulles. Deux raisons pourraient expliquer une telle hausse. Premièrement, avec la « Loi Travail », le recours à la VAE devrait considérablement augmenter. Le potentiel de son marché – mais dans la continuité de la Loi du 5 Mars 2014 – devrait attirer de nouveaux acteurs ayant peu d’expérience en matière d’accompagnement. Deuxièmement, il y a l’effet pervers de la baisse de la durée d’activité. En fait, cette baisse pose la question de la consistance de l’expérience à transformer en diplôme. Une telle expérience, n’est-elle pas fondée sur la durée d’activité ? Il convient d’observer de très près l’effet de cette disposition dans le cadre d’une étude portant sur la corrélation entre « durée d’activité » et « résultat du parcours VAE » de candidats.
Face aux futurs candidats à la VAE ayant une durée d’activité d’un an, le risque de validations partielles et nulles apparait à priori plus important. Les accompagnateurs doivent, pour le neutraliser sinon le minimiser, l’intégrer comme un nouveau paramètre ; l’objectif étant de sécuriser au mieux le parcours de VAE à travers par exemple des diagnostics plus approfondis, une offre de formation adéquate et pouvant alors compléter l’expérience du candidat. Il sera sans doute pertinent d’associer Formation et VAE. Toutefois, il faudra veiller à ce que l’on ne commercialise pas des heures de formation qui ne s’imposent pas. En effet, si la formation permet d’entrer dans une logique de parcours qui nous semble très bien, des acteurs pourraient être tentés de commercialiser des heures ne s’imposant pas mais ayant pourtant leurs coûts.
• La reconnaissance de parties de certification constituant un bloc de compétences
Dans le cadre d’une validation partielle, il se pose la question de la durée de validité des parties de certification obtenues (ou unités acquises) au cas où le candidat souhaiterait plus tard valider totalement les acquis de son expérience. Concernant l’enseignement supérieur, la loi ne fixe aucun délai et ces unités sont dès lors acquises à vie. Selon le dispositif en vigueur, les unités sont acquises – sauf pour l’enseignement supérieur – pour 5 ans à compter de la notification de la décision du jury.
Ce qui change avec la « Loi Travail » : la limite de validité de 5 ans est levée et les parties de certifications obtenues sont définitivement acquises. Ces parties permettent maintenant des dispenses d’épreuve et ce, « si le règlement fixé par l’autorité administrative, l’établissement ou l’organisme qui délivre la certification prévoit des équivalences totales ou partielles ». Il est donc question de blocs de compétences ou « éléments identifiés d’une certification professionnelle s’entendant comme un ensemble homogène et cohérent de compétences » [3]. Grâce à la « Loi Travail », un candidat peut avancer « module » par « module », au rythme de la singularité de ses réalités, sans la pression du temps. Les certificateurs vont donc devoir adapter leurs règlements ou textes règlementaires. Au-delà de ces impacts juridiques, la « Loi Travail » est porteuse d’impacts administratifs pour les organismes certificateurs. Ces derniers doivent « faire évoluer progressivement leur base de données à la fois pour assurer le suivi des parcours prévu par la loi du 5 mars 2014 et intégrer le dynamisme des parcours non plus lié à une seule certification mais aux diverses possibilités de validations partielles, passerelles entre certification et diversité des modalités d’accès à la certification » [4].
Notre avis : Il est temps pour de nombreux certificateurs d’adapter leurs référentiels en termes de blocs de compétences. A ce sujet, la tentation d’une division des diplômes en de nombreux blocs ne peut être que forte. En effet, c’est là l’occasion de bénéficier d’une offre de formation courte « CPFisable ». La CNCP (Commission Nationale de la Certification Professionnelle), les OPCA (Organisme Paritaire Collecteur Agréé) et OPACIF (Organisme Paritaire Agréé au titre du Congé Individuel de Formation) doivent être les gardiens du temple à ce niveau. Cependant, quel est le bon nombre de blocs de compétences adéquat pour chaque diplôme ? La réflexion sur ce sujet devrait suivre la seule logique pédagogique devant fournir une organisation lisible, modulaire et cohérente des diplômes.
• L’entretien professionnel
Quand une entreprise embauche un salarié, elle doit l’informer sur son droit à un entretien professionnel tous les 2 ans. Durant un tel entretien, l’employeur doit aborder avec celui-ci ses perspectives d’évolution professionnelle en termes particulièrement de qualifications et d’emploi.
Ce qui change avec la « Loi Travail » : l’entretien professionnel comporte maintenant des informations relatives à la VAE. Il s’agit de promouvoir le dispositif dans l’entreprise. Et la « Loi Travail » précise que des modalités de cette promotion peuvent être déterminées par un accord d’entreprise dans les entreprises de plus de cinquante salariés.
Notre avis : La VAE est un « produit « qui ne trouve pas son public » » [5] et manque alors de notoriété. L’obligation d’informer le salarié sur la VAE à l’occasion de son entretien professionnel va sans doute contribuer à la promotion du dispositif qui reste assez méconnu dans de trop nombreuses entreprises où de trop nombreux bénéficiaires potentiels n’en savent pas grand-chose sinon rien. Cette obligation est à même de créer des rencontres décisives avec la VAE.
Le congé pour VAE
Le salarié qui s’engage dans une démarche de VAE peut bénéficier d’un congé pour VAE dont la durée ne peut excéder 24 heures de temps de travail, consécutives ou non, par validation. La Loi du 5 Mars 2014 stipule qu’une personne ayant été titulaire de CDD peut bénéficier d’un tel congé qui est toutefois un droit « subordonné à des conditions d’ancienneté ». Les conditions de rémunération ne sont alors pas les mêmes pour un CDD et un CDI.
Ce qui change avec la « Loi Travail » : Les conditions d’ancienneté pour les titulaires de CDD sont supprimées et c’est l’article L.6422-8 qui prévoit maintenant les conditions de rémunération comme suit : « le salarié dont l’action de VAE est prise en charge par l’un des organismes collecteurs paritaires agréés a droit à une rémunération égale à la rémunération qu’il aurait reçue s’il était resté à son poste de travail, dans la limite par action de validation d’une durée déterminée par décret pour chaque action de validation. La rémunération due au bénéficiaire d’un congé pour VAE est versée par l’employeur. Celui-ci est remboursé par l’organisme collecteur paritaire agréé ». Aussi, le congé pour VAE n’est plus limité à 24 heures (de temps de travail, consécutives ou non, par validation) pour tous les candidats. La « Loi Travail » stipule, en effet, que « la durée de ce congé peut être augmentée par convention ou accord collectif de travail pour les salariés n’ayant pas atteint un niveau IV [6] de qualification, au sens du répertoire national des certifications professionnelles, ou dont l’emploi est menacé par les évolutions économiques ou technologiques ».
Notre avis : ces évolutions relatives au congé pour VAE sont à saluer. À travers elles, la « Loi Travail » remet les pendules à l’heure d’une certaine justice sociale pour les titulaires de CDD. Par exemple, dans le cadre de leurs congés pour VAE, les salariés – peu importe la nature de leurs contrats – jouissent maintenant des mêmes droits en termes de rémunération car ils sont soumis aux mêmes conditions en la matière.
• L’accompagnement à la VAE
La Loi du 5 Mars 2014 stipule notamment que « toute personne dont la candidature a été déclarée recevable […] peut bénéficier d’un accompagnement dans la préparation de son dossier et de son entretien avec le jury en vue de la VAE ».
Ce qui change avec la « Loi Travail » : Cette loi prévoit « un accompagnement renforcé pour certains publics peut être prévu et financé par un accord de branche. ».
Notre avis : cet alinéa complémentaire dans la « Loi Travail » n’est pas du tout anodin. En fait, il renvoie à une reconnaissance de l’importance de l’accompagnement et soutient la nécessité de son renforcement pour certains publics, l’objectif étant la sécurisation de leurs parcours de VAE. Toutefois, que faut-il entendre par « accompagnement renforcé », « certains publics » ou encore « financé » ?
Et pour conclure … la « Loi Travail » …
• … entre impacts notables
La « Loi Travail » va impacter de façon significative les acteurs du monde de la VAE. « Les accompagnateurs devront renforcer leurs activités d’ingénierie des certifications, proposer des diagnostics approfondis ; ces derniers devant particulièrement s’inscrire dans une logique d’aide à la construction de parcours. Cette loi sous-entend donc un nouveau défi pour le monde de l’accompagnement. Avec plus d’une décennie d’expertise, VAE Les 2 Rives en est conscient ; sa mission étant d’accompagner chaque candidat vers un nouveau départ fondé sur sa singularité, ses attentes », souligne David Rivoire. Cette loi va renforcer et donner un souffle nouveau à la VAE dont elle va assurer la promotion dans les entreprises, auprès des salariés. Le recours au dispositif devrait augmenter. Pour l’instant, « le nombre de certifications délivrées chaque année stagne en effet depuis de nombreuses années autour de 30 000, très en-deçà du besoin potentiel de reconnaissance des compétences acquises » [7]. Pourtant, les bénéficiaires potentiels de la VAE sont tellement plus nombreux !
• … et un grand regret
S’il y a bien un regret à souligner, c’est sans aucun doute l’absence d’une disposition permettant le financement de la phase de choix du diplôme et d’obtention de la recevabilité. Cette phase n’est pas encore reconnue comme une prestation éligible au financement de la formation professionnelle. Elle doit pourtant être inscrite dans « une véritable logique d’accompagnement » : « hormis l’information qui lui est apportée, l’accompagnement offre au candidat l’opportunité d’une vision claire et réaliste sur son projet, avec le ciblage du diplôme et du certificateur adéquats, ainsi que l’évaluation de ses chances de réussite, rendant le projet plus concret. Sa motivation et sa disponibilité sont également évaluées » [8]. Et la réalité peut en témoigner. En effet, de trop nombreux candidats – parmi ceux s’informant sur la validation des acquis de l’expérience – abandonnent durant cette phase dite de recevabilité du fait particulièrement d’un manque de prise en charge. Voilà donc un sujet qui mérite toute l’attention du législateur s’il veut bien sûr favoriser le recours à la VAE, baisser de façon considérable les abandons lors de cette première phase et permettre à de très nombreuses personnes de transformer leurs expériences en diplômes. La « Loi Travail » a donc raté une belle occasion d’aller plus loin en termes de financement de l’accompagnement à la VAE, une occasion de mieux faire en la matière. N’est-ce que partie remise ?
Abdoul Karim KOMI
Responsable R&D
VAE Les 2 Rives
[1] Des diplômes de niveau : Certificat d’Aptitude Professionnelle (CAP), Certificat d’Aptitude Professionnelles Agricole (CAPA), Brevet Professionnel Agricole (BPA), Brevet d’Etudes Professionnelles (BEP).
[2] Projet de « Loi Travail » (p.278)
[3] https://www.defi-metiers.fr/breves/le-copanef-definit-la-notion-de-bloc-de-competences
[4] Projet de « Loi Travail » (p.279)
[5] Mayen et Pin (2014, p.144)
[6] Des diplômes de ce niveau : Bac général/professionnel/technologique, Brevet des Métiers d’Art (BMA), Brevet Professionnel (BP), Brevet Technique des Métiers (BTM).
[7] Projet de « Loi Travail » (p.279)
[8] http://leblogdelavae.com/quel-perimetre-pour-laccompagnement-vae/
Références
- http://leblogdelavae.com/
- LOI n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale
- LOI n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels
- Mayen, P. & Pin, J.-P. (2014). La rencontre avec la VAE. In : P. Lafont (Dir.), Institutionnalisation et Internationalisation des dispositifs de reconnaissance et de validation des acquis de l’expérience. Vecteur de renouvellement des relations entre univers de formation et de travail, Tome 1. (p. 143-156). Paris : E.U.I.
- Projet de Loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs (N°3600)
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