La VAE, levier contre le décrochage ?
• Jules APENUVOR – Docteur en sociologie de l’Université de Franche-Comté, membre associé du laboratoire C35 (Culture, Sport, Santé, Société) et responsable Recherche et Développement au Cabinet VAE Les 2 Rives de 2014 à 2016 (spécialisé dans l’accompagnement à la validation des acquis de l’expérience).
• David RIVOIRE – Consultant, Président du Cabinet VAE Les 2 Rives.
Érigé en préoccupation nationale, le décrochage scolaire requiert l’expérimentation permanente de solutions innovantes en tenant compte des métamorphoses de la société française. De ce point de vue, au regard des récentes évolutions du cadre réglementaire de la formation professionnelle, la VAE (Validation des Acquis de l’Expérience) apparaît comme une voie supplémentaire à explorer. Ce chapitre s’intéresse aux possibilités de mobilisation du dispositif de validation des acquis de l’expérience dans une telle perspective. Nous y présentons d’abord le décrochage comme une situation potentiellement handicapante dans un contexte culturel français caractérisé par une représentation du diplôme comme facteur premier d’insertion et d’ascension professionnelle et sociale. En second lieu, nous proposons une analyse de la démarche de VAE comme un processus qui, au-delà de l’obtention d’une certification, favorise l’émancipation ainsi que le développement du pouvoir d’agir et de la confiance en soi. Enfin, une fois ces raisonnements posés, nous énoncerons des pistes de réflexion sur les modalités d’un recours à un tel dispositif comme voie innovante pour lutter contre le décrochage.
1 – Le décrochage scolaire: un obstacle potentiel pour l’insertion
A – Une tentative de définition
L’article L 313-7 de la loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 définit les personnes en situation de décrochage scolaire comme étant « d’anciens élèves ou apprentis qui ne sont plus inscrits dans un cycle de formation et qui n’ont pas atteint un niveau de qualification fixé par voie réglementaire », à savoir l’obtention du baccalauréat général ou d’un diplôme à finalité professionnelle et classé aux niveaux V ou IV de la nomenclature interministérielle des niveaux de formation (cf. le décret n° 2010-1781 du 3l décembre 2010).
Même si elle est officiellement adoptée, cette définition n’est claire qu’en apparence au regard de la complexité même du phénomène de décrochage, de son caractère multifactoriel et de son ressort idéologique. Cela nécessite d’effectuer constamment des clarifications comme, par exemple, la distinction avec la déscolarisation qui concerne les jeunes âgés de moins de seize ans, soumis à obligation scolaire.
En outre, le phénomène du décrochage concentre des facteurs aussi complexes qu‘enchevêtrés. À titre d’exemple, les sciences sociales font une double lecture du phénomène, notamment comme un acte dont on peut rendre compte de façon objective (quantification) et comme un processus qu’il est plus difficile et délicat d’appréhender (et dont on ne peut a priori prédire exactement l’issue en termes d’arrêt d’une formation).
L’hétérogénéité des profils en fait par ailleurs un phénomène relativement difficile à saisir, les facteurs explicatifs étant pluridimensionnels et questionnant aussi bien les institutions primaires et secondaires de socialisation que des éléments beaucoup plus subjectifs et d’ordre psychologique.
Tout cela explique les difficultés pour dégager une typologie consensuelle des décrocheurs, d’où le foisonnement des approches en la matière. À ce propos, Pierre- Yves Bernard relève quatre types d’approches du décrochage, notamment en tant que situation (une scolarité inachevée), processus, étiquetage et construction politique. De leur côté, Dominique Leclercq et Thierry Lambillotte en font une lecture processuelle, «fruit d’une accumulation de facteurs internes et externes au système scolaire » (Leclercq et Lambillotte, 1997).
Différentes tentatives de catégorisation ont été relevées dans la littérature. Nous évoquons ici, à titre illustratif, les travaux de Kronik et Hargis et ceux de Janosz et al. qui ont le mérite de mettre en relation origine sociale, difficultés d’apprentissage et troubles comportementaux. Kronik et Hargis distinguent trois catégories de décrocheurs : les élèves en difficultés (apprentissage et troubles du comportement), les élèves tranquilles (présentant des difficultés d’apprentissage sans trouble du comportement), et les élèves silencieux (qui échouent à l’examen). Michel .lanosz (in Janosz et Le Blanc, 2005, pp. 94-95) identifie, pour sa part, quatre figures de décrocheurs : les discrets (pas de troubles du comportement, conformes à la demande scolaire, résultats faibles. PCS défavorisées), les désengagés (peu de problèmes de comportement, peu d’aspiration scolaire, performance dans la moyenne mais scolarité non valorisée), les sous-performants (forts problèmes de comportement, faible performance scolaire, situation d’échec), et les inadaptés (problèmes sur le plan des apprentissages, profil psychosocial plutôt négatif, problèmes familiaux, délinquance, déviance).
Dans le contexte français, le décrochage est devenu progressivement une priorité nationale au point de susciter un plan visant à réduire de moitié le nombre de personnes sortant du système éducatif sans diplôme. Ce plan est parti du constat qu’environ 140 000 jeunes par an quittent le système de formation initiale sans avoir obtenu une qualification équivalente au baccalauréat ou un diplôme à finalité professionnelle, CAP ou BEP.
B – Décrochage et insertion professionnelle et sociale
En France, le lien entre décrochage et difficultés d’insertion professionnelle, voire sociale, est souvent évoqué comme une quasi-évidence. À ce propos. Jean-Paul Géhin et Ugo Palheta font un constat édifiant au sujet de la Génération 98, dix ans après être sortie du système éducatif : « Guère plus de la moitié des jeunes sortis sans aucun diplôme en 1998 occupaient, dix ans plus tard, un emploi stable (CDI ou fonctionnaire) contre 74 % pour l’ensemble de la cohorte » (Géhin et Palheta, 2012, p. 18.) Les conclusions de Béatrice Le Rhun et Olivier Monso à l’issue de leur étude comparative sur les diplômés du Brevet de technicien supérieur et ceux ayant suivi le cursus sans obtenir le diplôme abondent également dans le même sens (Le Rhun et Monso, 2015).
Dominique Glasman souligne bien l’ambiguïté des rapports que les décrocheurs entretiennent avec l’emploi et les difficultés auxquelles ils sont confrontés sur le marché de l’emploi. Il évoque ainsi une représentation erronée du monde du travail par les jeunes en difficultés scolaires et engagés dans la voie du décrochage : « Il n’est pas rare que leur discours oppose le monde de l’école et le monde du travail. D’un côté, un monde artificiel, où l’on apprend des choses “qui ne servent à rien”, dans un mode de relation peu supportable pour des adolescent(e)s ; de l ‘autre, le monde “en vrai », où l ’on peut gagner de l’argent, montrer ce dont on est capable, s ’affronter au principe de réalité » (Glasman, 2014, pp. 39-40.) Mais, quand ce jeune trouve du travail, « il se trouve confronté à des réalités pénibles : faibles salaires, conditions [d’exercice] difficiles, précarité à l’emploi, relations de travail dures, horaires bien plus contraignants que les rythmes scolaires ».
En somme, compte tenu d’un environnement économique peu favorable, avec un marché du travail en tensions, sortir du système éducatif sans diplôme présente des risques déjà relevés par Glasman mais abordés de façon plus approfondie dans d’autres travaux. Ainsi, hormis l’enchaînement de contrats précaires et l’alternance de périodes de travail et de chômage, on peut évoquer des difficultés de progression professionnelle et d’insertion sociale exposant le sujet à un risque de désaffiliation.
2 – VAE et insertion
La VAE apparaît comme un dispositif particulier qui permet la rectification de parcours initiaux chaotiques, tout en aidant son usager à développer un capital de confiance en soi suffisamment élevé pour donner une tournure nouvelle à son histoire de vie. Cela amène à questionner les spécificités de ce dispositif et les mécanismes de construction de l’émancipation qui posent les bases pour l’insertion.
A – Une démarche autoformative
Basée sur une, analyse critique du parcours expérientiel, la démarche de VAE vise à mettre au jour l’adéquation entre des expériences spécifiques et les caractéristiques d’une certification. De ce point de vue, en tant qu’activité réflexive et rédactionnelle, elle permettrait à l’usager de développer un meilleur rapport à l’activité professionnelle, à l’écrit (ure), à soi et à l’autre.
Une analyse globale de cette démarche permet d’appréhender les spécificités des activités qui s’y déroulent concrètement et qui sont susceptibles d’induire apprentissage et formation de soi. Cette dernière suit une progression qui peut globalement se découper en quatre moments : l’information et l’orientation, la recevabilité, la rédaction du dossier d’expérience, et le passage devant le jury. La première phase est caractérisée par une présentation du dispositif et de son déroulement au futur candidat. Ayant la double finalité d’informer et d’aider à cibler le diplôme adéquat, cette étape peut s’apparenter, selon les cas, à un diagnostic de faisabilité du projet. Ensuite, une fois le diplôme probablement accessible identifié, un dossier est déposé auprès de l’organisme certificateur débouchant sur une décision positive ou négative de recevabilité. À ce stade, débute un travail réflexif dans la mesure où il est question de suggérer à cet organisme certificateur l’adéquation entre le parcours expérientiel et le diplôme visé. Le gros du travail se déroule cependant après l’obtention de la recevabilité qui scelle, aux yeux du législateur, l’entrée dans la VAE. Celui-ci consiste en une analyse critique et en une reconstruction d’une série d’expériences avec, pour finalité, de prouver leur lien avec la certification visée.
Cet exercice revient à effectuer une série d’opérations qui induisent une meilleure connaissance de soi, de ses expériences et des environnements où elles se sont déroulées, voire l’acquisition de nouveaux savoirs. Ces opérations sont décrites comme suit par Alex Lainé : « passage de l’oubli au souvenir » ; « passage de l’activité prescrite à l’activité réelle » ; « transformation d’une mosaïque d’expériences relativement éparses en un parcours relativement structuré » (Lainé, 2010, pp. 197-219). En somme, grâce à la VAE, les activités menées par l’individu durant des années, et qui sont appréhendées comme allant de soi, sont soumises a ce travail cognitif qui permet finalement une réappropriation.
B – VAE et pouvoir d’agir
L‘une des vertus reconnues à la VAE réside dans les perspectives qu’elle ouvre pour l’individu, comme si un voile occultant avait été levé grâce à la réussite du processus. Mais dans le fond, au-delà du diplôme obtenu qui n’en est que le révélateur, c’est dans le travail de réminiscence, de réorganisation et d‘auto-attribution des expériences que réside la valeur ajoutée de la VAE. Nous rejoignons, a ce propos, le point de vue d’Alex Lainé qui résume ainsi le changement opéré : « Au-delà de l’obtention de tout ou partie du diplôme […], cet authentique processus d’historicité a des effets non négligeables.
Pour l’essentiel, il s’agit de l’augmentation de la capacité d’apprendre et d’agir du sujet » (ibid., p. 259.) Yann Le Bossé utilise, quant à lui, le concept de « pouvoir d’agir » pour désigner cette phase d’émancipation : ce pouvoir permet à l’individu de « surmonter les obstacles à l expression de “l’être au monde », d’être en mesure d’agir, d’avoir les moyens de se mettre en action ». Dans le cas des candidats à la VAE, cette émancipation se manifeste par le renforcement du sentiment de maîtrise du travail, la croyance de l’individu en sa capacité à donner un élan nouveau à sa carrière et l’acquisition d’une image valorisante auprès de l’entourage professionnel et familial. Pour certains candidats, il s’agirait d’une réelle « transfiguration », dans la mesure où on assiste à une profonde transformation de l’identité sociale et professionnelle.
Par ailleurs, le dispositif de VAE à la particularité de se présenter comme une niche de parcours atypiques. On y rencontre des personnes qui, ayant débuté leur vie professionnelle avec peu ou pas de diplôme, obtiennent, grâce à leurs expériences aussi diverses que surprenantes, une certification qui leur permet soit de propulser leur carrière, soit simplement de prendre une revanche sur un passé chaotique toujours agissant. Nous citons, à ce propos, le cas d‘lsabelle qui a abandonné les études a 21 ans suite à un échec à l’université, échec « dû probablement à une mauvaise orientation ». Elle débute alors sa carrière en travaillant d’abord dans une entreprise familiale qui l’embauche pour effectuer diverses activités administratives. Au bout de sept années, elle évolue au sein de cette PME et devient la Directrice de l’agence Île-de-F rance. Elle ressent alors le besoin de légitimer sa position : « J’ai senti que, même si j’avais appris mon métier sur le tas, il me manquait des connaissances, notamment en droit et en finance. » Aussi a-t-elle préparé et obtenu, en formation à distance au CNED, un BTS en Comptabilité et Gestion. Elle a tour à tour occupé les postes de Négociatrice en immobilier chez Bouygues Télécom et d’Acheteur-projets chez Neuf Télécom. Après le rachat de cette dernière entreprise par SFR, elle a certes gardé son poste au sein de la Direction Achat mais a ressenti à nouveau le besoin de conforter sa place : « En 2008, lors de l’achat de mon entreprise [. . .], j’ai compris que si je voulais conserver un poste intéressant, voire mon poste, je devais prouver à nouveau mes compétences. J’ai également perçu qu’au regard de la taille de cette nouvelle entreprise, un diplôme de niveau bac + 2 ne suffirait pas. » Elle s’engage alors dans une démarche de VAE à l‘issue de laquelle elle obtient une licence professionnelle en Management de projet. La dynamique émancipatoire étant ouverte grâce à l’obtention de ce diplôme, Isabelle entreprend des études en formation continue et obtient, au bout de deux ans, un Master en Administration des Entreprises, spécialité Management général. Occupant aujourd’hui le poste de Responsable des achats au sein de son entreprise, elle accompagne et forme des équipes opérationnelles d’environ deux cents chefs de projets. Elle nourrit, par ailleurs, l’ambition de donner un nouvel élan à sa carrière en s’orientant vers les Ressources humaines, spécialement le développement RH et l’Accompagnement professionnel.
En somme, de par son potentiel émancipateur, la VAE est riche d’apprentissages et source d’exemples pour les personnes en situation de décrochage. Ainsi, à l’exemple d’Isabelle et d’autres anciens usagers, les parcours, chaotiques au départ, se redressant et ouvrent des perspectives professionnelles insoupçonnées.
3 – Conditions de mise en place d’un dispositif couplant VAE et lutte contre le décrochage
La lutte contre le décrochage couvre essentiellement deux dimensions : « l’anticipation et la prévention des risques de ruptures scolaires d’une part, le traitement curatif lorsque la situation se présente d’autre part » (Bernard et Michaut, 2011, p. 112). Des dispositifs d’accompagnement à l’insertion professionnelle de jeunes en échec scolaire, tous aussi inventifs les uns que les autres, existent déjà et ont fait l’objet de retours très positifs (CLEPT, E2C, Missions locales, etc.). Mais l’arrimage avec la VAE serait une innovation en la matière, avec un cadre réglementaire de plus en plus favorable.
A – Un cadre favorable
L’arrimage de la VAE aux dispositifs actuels ne peut que S’inscrire dans une logique curative. Il s’agit de trouver, à travers l’accompagnement à l’obtention d’un diplôme par la VAE, une solution pérenne permettant l’insertion professionnelle et sociale de gens qui ont déjà posé l’acte d’abandon ou de rupture avec le système éducatif. L’objectif est d’outiller ces personnes afin qu’elles puissent trouver du sens à l’apprentissage et au rapport au savoir, ce qui créerait les conditions pour une réussite de toute démarche de raccrochage scolaire et/ou professionnel.
Les métamorphoses du cadre réglementaire créent les conditions pour recourir à la validation des acquis de l’expérience afin de concevoir des dispositifs innovants d’accompagnement des personnes en situation de décrochage. La loi n° 2013-5 95 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République introduit des modifications dans l’article L.122-2 du Code de l’Éducation en stipulant : « Tout jeune sortant du système éducatif sans diplôme bénéficie d’une durée complémentaire de formation qualifiante qu’il peut utiliser dans des conditions fixées par décret. Cette durée complémentaire [. . .] peut consister en un droit au retour en formation initiale sous statut scolaire. »
La récente loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale ouvre également des perspectives intéressantes pour l’inscription de la VAE dans une logique de parcours. Elle permet en outre de compter, au titre des expériences requises pour la VAE, les expériences de formation en milieu professionnel pour les personnes visant un diplôme de niveau V.
La circulaire n° 2015-041 du 20 mars 2015 relative au droit au retour en formation initiale pour les sortants du système éducatif s’inscrit également dans cette dynamique : « Tous les moyens disponibles seront déployés pour informer de ces nouveaux droits les jeunes sortants et les jeunes sortis sans diplôme du système éducatif:
– information systématique des élèves du second cycle de l’enseignement secondaire des voies générale, technologique et professionnelle ;
– information des jeunes repérés dans le cadre du SIEI ;
– information dans le cadre des plates-formes de suivi et d’appui aux décrocheurs ou dans l’établissement ;
– information délivrée par tout organisme contribuant au service public régional de l’orientation susceptible d’être contacté ou d’accueillir des jeunes sortants et notamment les CIO, les missions locales, les points information jeunesse, Pôle emploi, Cap emploi, etc.
– information communiquée à l’occasion de la Journée défense et citoyenneté, dans les agences de travail temporaire, dans les médias ;
– information par les services communs universitaires d’information, d’orientation et d’insertion professionnelle ;
– information des jeunes par le responsable local d’enseignement à destination de [ceux qui sont] pris en charge par les services d’enseignement en milieu pénitentiaire. »
B – L’ancien candidat à la VAE : une figure exemplaire à impliquer dans la lutte
Un candidat qui a entrepris et réussi une VAE a généralement eu un parcours de formation initiale chaotique avec, probablement, un échec au départ, et a dû s’orienter dans la voie professionnelle en étant jeune. Cette personne a connu un parcours professionnel diversifié, en dents de scie. Ayant un potentiel autodidactique plutôt élevé, elle a appris son métier sur le tas et a connu, grâce à ses capacités d’apprentissage et de débrouillardise, une ascension professionnelle. Arrivé à une étape de son parcours professionnel, l’individu qui, au départ, est sorti du système éducatif sans diplôme ou avec un bas niveau de qualification, se retrouve en situation de blocage compte tenu des métamorphoses de son entreprise, de son poste, ou à cause de l’arrivée de personnes plus diplômées et plus jeunes. Cette situation peut être d’autant plus problématique si l’intéressé n’a pas suivi une série de formations qualifiantes dans son parcours. On retrouve ici la catégorie d’identité bloquée (ou catégorielle) telle que décrite par Claude Dubar (Dubar, 2015, pp. 195-205).
Le dispositif de validation des acquis de l’expérience est généralement découvert dans ce genre de situation, à la faveur d’un bilan de compétences ou d’un entretien professionnel. Engagé dans cette démarche, le candidat rencontre trois catégories de difficultés : il se trouve confronté à la complexité de la procédure (et à la multiplicité des interlocuteurs), aux contraintes qu’impose le formalisme des dossiers (réinscription dans une logique scolaire) et au travail de réflexivité requis pour la rédaction du dossier d’expérience. S’imprégnant progressivement des attendus de cette démarche, il prend confiance en lui, “revisite” son vécu expérientiel et rédige son dossier. Il découvre ainsi la richesse de son parcours et sa propre professionnalité. On assiste donc à « une transformation de la représentation que le sujet avait de sa propre pratique, en même temps qu’une modification de l’image concomitante qu’il se faisait de lui en tant que professionnel » (Lainé, 2010, p. 197).
Grâce à la réussite de ce processus, l’ancien candidat se trouve transfiguré aussi bien dans la perception qu’il a de lui-même que dans l’image qui lui est renvoyée par son entourage. Avec une vision renouvelée de son parcours et de sa pratique professionnelle, il est fier de témoigner de son aventure avec la VAE et/ou de son parcours de vie. Cette figure, qui se veut volontiers exemplaire, apparaît comme une opportunité pour la mise en place de dispositifs de mentorat pour la lutte contre le décrochage. Le partage d’un vécu quasi identique avec les jeunes décrocheurs (rupture avec le système éducatif), la possibilité de transmission de valeurs de persistance et du goût de l’effort ainsi que l’opportunité d’un accompagnement à l’intégration de réseaux professionnels sont autant d’atouts qui pourraient être exploités. Cette fonction représenterait une forme de reconnaissance pour ces anciens candidats, une incitation à la revanche et un encouragement pour tous ceux qui sont en situation de décrochage et de quête de soi.
C – Une ébauche de dispositif hybride à expérimenter
Le recours à la VAE suppose un dispositif hybride visant à accompagner les personnes en situation de décrochage vers l’acquisition progressive d’expériences en milieu professionnel. Un accompagnement spécifique destiné à capitaliser, au fil de l’eau, les acquis de ces expériences dans le cadre d’un projet de VAE serait alors assuré en parallèle. Un tel dispositif requiert un partenariat multi-acteurs impliquant aussi bien les entreprises que les organismes de formation et d’insertion dans un cadre synergique. Pour ce qui est des bénéficiaires, l’entrée dans le dispositif se ferait sur la base d’un diagnostic individualisé dans l’objectif d’appréhender les besoins spécifiques et les motivations de l’individu. Cette démarche présenterait l’avantage d’inscrire le projet d’insertion dans une logique de co-construction qui est également source de motivation. La seconde étape consisterait en l’insertion au sein d’une entreprise avec, pour objectif, l’acquisition progressive de savoir-faire permettant d’évoluer dans cet environnement professionnel : fonctionnement d’une firme, codes de conduite et comportements, etc. Des parcours spécifiques de perfectionnement seront ensuite mis en place en fonction des aptitudes et des potentiels détectés. L’arrimage de la validation des acquis se fera à travers le double recours aux anciens usagers du dispositif pour assurer la fonction de tutorat et à un accompagnement spécifique dédié à l’analyse du travail et à la capitalisation des acquis en lien avec une certification ciblée préalablement.
Initialement conçue comme mesure de justice sociale, la validation des acquis de l’expérience a connu des fortunes diverses. Considérée par certains certificateurs comme un mécanisme de dégradation de la valeur du diplôme, elle s’est progressivement imposée au gré de différentes évaluations qui en ont certes montré les limites mais aussi les réussites. Aujourd’hui, avec les évolutions du marché du travail et l’acuité des problématiques d’insertion professionnelle et de décrochage, elle se présente de plus en plus comme une solution pertinente dont l’expérimentation mérite d’être initiée. Ainsi, outre le rôle possible des anciens candidats qui représentent une figure exemplaire, les récentes évolutions du cadre réglementaire de la formation professionnelle permettent un recours efficace à ce dispositif.
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